L'art de bien piloter son entreprise

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Si les grandes structures (les fameux « grands comptes ») ont bien un avantage sur les petites startups, c’est l’absence de peur quant à leur avenir à court terme. Les fonds propres étant suffisants, tenter quelque chose et échouer passe simplement en « pertes et profits » et on passe à autre chose.

Ce n’est pas le cas pour les petites boîtes. Ces dernières n’ont pas le luxe de rater puis recommencer ; bien souvent, un mauvais choix met en jeu la survie même de l’entreprise. Inutile de dire que c’est une drôle de pression sur les responsables. Alors, comment une entreprise peut réussir ?

Heureusement ou non, réussir a autant de significations que d’entreprises. Toutes se rejoignent cependant sur un noyau commun : à chaque étape de sa vie, une entreprise a besoin de faire quelque chose, que ce soit un problème à résoudre ou un résultat à atteindre. Réussir consiste donc à atteindre cet objectif.

À cette fin, suivre des KPIs (ou Key Performance Indicators) est à mon sens la meilleure approche. Pourquoi un humain ne suffirait pas ? C’est ce que nous allons voir.

NB: Par facilité, mon exemple est une entreprise du secteur IT.

Le pilotage humain et le risque de partir dans la mauvaise direction

L’objectivité pure n’existe pas, ce qui ne serait pas grave si nous en avions conscience. Mais ce qui fausse la partie, c’est que notre cerveau peut induire en erreur notre capacité même de jugement, c’est-à-dire créer des biais.

Prenons quelques exemples et commençons par la prise de décision initiale. Le premier biais que l’on peut évoquer est ce qu’on appelle la loi de l’instrument. On la résume ainsi :

Donnez un marteau à un jeune garçon, et il trouvera que tout a besoin d’être martelé
~ A. Kaplan1

Cela signifie que lorsqu’on s’est formé à une technique ou une organisation, on aura une nette tendance à vouloir l’appliquer partout, à la fois pour la « rentabiliser », mais aussi parce qu’on a appris à la reconnaître. Or, nous ne pouvons acquérir toute la connaissance possible, elle est forcément liée à nos expériences passées ou notre bagage culturel. Et puisque nous sommes conditionnés à voir des motifs dans les événements, il arrive que l’on se fasse abuser par nos sens, comme une forme de paréidolie technique, et de ce fait nous nous auto-persuadons de la validité de notre reconnaissance de schéma. Ce premier biais est renforcé par le biais de confirmation2, nous poussant à privilégier les informations qui confirment nos croyances au détriment de celles qui l’invalident.

Avec le temps et les itérations du produit, nous améliorons notre connaissance des besoins et sommes ainsi plus en mesure d’évaluer rétrospectivement l’adéquation de la solution que nous avons mise en place. Problème : si nous nous rendons compte que la route prise n’est pas bonne, le biais d’aversion à la perte (de l’énergie et du coût investi) nous poussera à poursuivre dans cette direction en dépit de l’évidence que la solution est couteuse et sous-optimale. Ce biais est en plus très vicieux, car il s’auto-entretient.

Diriger une entreprise se résume à une tâche, il faut juste être sûr d’avoir raison. Tout simple quoi. Plus sérieusement, piloter à l’aveugle est mission impossible, à plus forte raison si nous ne pouvons pas nous fier à notre propre jugement. Ce n’est pas une histoire d’intelligence, il s’agit simplement de la façon dont notre cerveau fonctionne : ce qui nous est bien utile dans la plupart des cas nous dessert parfois.

Une entreprise ne peut pas miser sa survie sur ce hasard, c’est pour cette raison qu’il faut une lecture plus froide de la situation.

Le thermomètre et le thermostat

On prête à Peter Drucker la phrase suivante :

Si vous ne pouvez pas le mesurer, alors vous ne pourrez pas l’améliorer

En fait, Drucker n’a jamais prononcé cette phrase3, pourtant je la crois vraie.

Mettre en place des KPIs vise à palier les défauts mentionnés plus haut (et d’autres!). Un KPI ne peut pas en être un s’il n’est pas quantitatif et stable sur la durée. Par sa mesure, on apporte à l’entreprise une photographie précise de la situation à un instant T, cela participe à dépassionner le débat au sein de l’entreprise. En se concentrant sur une valeur quantifiable, il offre également une vue simplifiée, dégageant tout le « bruit » que peut vivre une entreprise. Ces quelques qualités font des KPIs un thermomètre, un outil pour mesurer une donnée et afficher une information. Enfin, il rend incontestable les signaux faibles en les mettant en lumière.

Mais l’apport d’un KPI ne s’arrête pas là. Cette photographie étant répétable dans le temps, le KPI et le responsable qui interprète la mesure forment un système ayant pour but de réduire l’écart entre la valeur relevée et la valeur étalon. Autrement dit, un thermostat. C’est un peu comme une boussole, elle ne nous montre pas comment atteindre notre objectif, juste où il se trouve. Avoir cette mesure nous donne toute latitude exploratoire, mais sans le risque qui va habituellement avec. Nous savons en permanence si nous nous écartons du chemin à suivre et nous apportons les correctifs nécessaires.

Cette sérénité est une vraie plus-value.

système à boucle de rétroaction

OK, qu’est-ce-qu’on met comme KPI ?

Maintenant une question se pose : quels sont les bons KPIs à mettre ? Comme dit en introduction, il n’existe pas de réponse toute faite. Pour autant, nous pouvons offrir un cadre formel pour l’exploration de cette question dans le contexte tout spécifique de chaque entreprise.

Le conférencier Simon Sinek établit un concept qu’il a appelé le “Golden Circle”. Au cœur du cercle se trouve le Why, la raison profonde qui pousse une personne à agir, et qui donne donc à son entreprise une raison d’exister unique parmi toutes les autres du même marché. Sur la coquille la plus extérieure se trouve le What, ce que nous faisons pour mettre en œuvre cette vision. Et enfin, sur le cercle intermédiaire se trouve le How, la proposition de valeur et la façon dont nous réalisons le What.

simon sinek golden circle : why / how / what

À l’exception d’un repositionnement profond (et rare!), le Why d’une entreprise ne devrait pas changer car c’est ça qui lui donne son identité. Les deux autres par contre sont appelés à se moduler, à s’adapter selon l’étape de la vie de l’entreprise. Ce sont eux qui donnent corps à la raison d’exister, c’est donc à partir d’eux que l’on va construire des objectifs stratégiques4, et les éclater eux-mêmes en objectifs opérationnels.

Ces deux types d’objectifs en poche, l’entreprise sait ce qu’elle a besoin de faire. Il lui reste alors qu’à les traduire, les formaliser et trouver une valeur cible. Il faut toutefois veiller à ne pas tomber dans l’excès de zèle : il vaut mieux 5 KPIs bien choisis que 50 qui font partir dans toutes les directions.

Les KPIs c’est bon, mangez-en !

Cet article est important pour le consultant indépendant que je suis. Trop de fois j’ai vu des responsables croire pouvoir agir par leur seul flair et au final, soit l’entreprise échoue, soit elle reproduit un schéma sans saveur. Or, les outils pour réussir sont déjà là, à disposition, dès lors qu’on s’y intéresse. Je ne dis pas que les startups qui mettent en place des KPIs réussiront leurs actions, mais je constate que celles qui ont échoué n’ont jamais voulu en mettre.

Alors c’est vrai, les KPIs ont mauvaise presse car on part du principe que c’est un truc de manageur. On croit que les KPIs ôtent quelque chose au pilotage d’une entreprise, comme son « âme ». Rien n’est moins vrai. Au contraire même : en ayant un repère stable, on peut et on doit s’autoriser toutes les créativités, tous les exotismes, tous les modèles. À mon sens, c’est précisément là que réside la valeur ajoutée du dirigeant : arriver à ses fins sans suivre un dogme.

L’image dont pâtissent les KPIs provient d’une mauvaise construction, menant à des effets pervers et induisant d’autres biais que les biais purement humains (les KPIs ne sont pas neutres) ; c’est un piège dans lequel beaucoup de manageurs tombent malheureusement. Pour éviter ça, la construction et le suivi des KPIs doivent obéir à des règles précises. C’est ce que nous verrons la prochaine fois.


Sources :


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